Behemoth Posted on 17 mars 2024 By Mike Behemoth Que cela regarde l’économie, le social, le politique, la morale ou bien encore finalement l’art lui-même, depuis Marx, chacun sait combien les processus de développement de la société humaine sont intrinsèquement liés aux champs de représentation que celle-ci veut bien se donner. Il n’est pas nécessaire d’y revenir. À l’ère néo-libérale, ce processus consiste à réduire l’ensemble des sphères d’activité de l’homme à une dimension exclusivement marchande et financière. Sa condition essentielle est le système ; son développement procède selon un appareil globalisé qui, autant dans l’esprit que dans l’ensemble des représentations qui le constituent formellement, est d’abord et avant tout totalisant. Sans forme précise, il se dispose comme un ensemble de procédés, de pratiques organisées lesquelles, considérées dans leurs relations respectives, se destinent à en assurer le fonctionnement unitaire. Ses préceptes, formellement rehaussés en principes, se structurent en corpus jusqu’à devenir une pure et simple forme autotélique, là où celle-ci se résout formellement en son propre contenu. Rien n’y peut réchapper, qui n’est substantiellement, à la fois, le produit fini de ce processus en même temps que sa représentation prédéterminée selon ses propres fins. Fondé sur un postmodernisme héroïque, tout sens lié à l’homme ou à la conservation des œuvres de l’esprit a été méticuleusement éliminé. La déconstruction a fini par rendre ces notions culturelles aussi étrangères à la culture qu’incompatibles à tout type signification qui pourrait vouloir encore y correspondre. La culture mise au service du capital ne peut ressembler de jure qu’à ce à quoi elle ressemble de facto aujourd’hui, à un monceau de décombres. La résistance passive à cette culture reste passée sous silence. Aucun élan culturel, un tant soit peu rendu disponible à l’ère néo-libérale, qui n’a pas déjà été ipso facto utilisé par la publicité, le showbiz ou le monde de la mode n’existe pas et ne peut pas exister. Il en découle une pure et simple production en mesure de ne plus se satisfaire que de son seul mécanisme de production dont il s’agit d’éprouver et admirer la “performance”. Là encore rien qui ne puisse répondre à la plus minimale exigence qualitative intellectuelle. Le règne de l’indigence est si total, que celle-ci triomphe même de l’esprit qui en est à l’origine et l’anime. Mais, le néo-libéralisme ne se lasse pas de se repaitre de la situation dont il est à l’origine. Au centre de ce qu’il convient pour le bon usage de qualifier de “crise de la culture” se love la mécanique perverse qui inverse le champ de la réalité que cette dite crise doit masquer. Derrière le thème central de l’illusion par l’image, se trouve, celui de la duplicité et du mensonge. L’idée même que la culture serait une représentation que se donne la société, ou qu’elle serait une représentation critique de cette même société à laquelle elle appartient et dont elle procède, est désormais opportunément vidée de sens. Que la culture soit elle-même une illusion, une forme inexistante disparue, est devenu un principe pour mieux en cultiver la valeur. “L’homme” étant une construction récente de l’histoire qu’il s’est agi d’éliminer, il est devenu d’autant plus facile d’en vendre la disparition comme ultime dimension d’une société qui serait enfin digne de lui quand elle en serait débarrassée. La décomposition qui la ronge est au prix du rachat humaniste dépouillée de la notion d’homme, c’est-à-dire sans aucun contenu. Désincarnée, pour exister, la culture devient un système dans lequel, par intégration, s’institue en tant que système culturel. Le discours auto légitimateur sur lequel il véhicule son apologétique tente de dissimuler les conditions matérielles sur la base desquelles s’élève sa véritable constitution. Sa rhétorique vise à oblitérer l’insoutenable réalité de la vie contemporaine, comme les misérables produits, qu’il dispense sur le mode du divertissement, servent de lots de consolation pour escamoter les rapports économiques qu’il est le seul à déterminer. C’est qu’au-delà du thème lui-même, la culture est devenue idéologie. De la même façon que la réprobation de l’illusion ou du mensonge est suspecte, l’idée d’en dénoncer la nature est taxée d’idéologie et est condamnée. Les préoccupations d’argent sont venues prépondérantes. En s’insinuant dans les moindres interstices de la vie en général, elles ont irrémédiablement submergé, et ruiné, toute pratique intellectuelle ou culturelle. Il n’est pas, jusqu’aux sphères les plus officielles qui ne relèvent pas de cette si triste réalité. Suivant la logique du mensonge, cela sera bien entendu dénié et, au contraire, amené sur le devant, avec un enthousiasme pour l’authenticité et la véracité. Mais, les conditions matérielles dont la culture procède, la façon avec laquelle elle est modelée sur les intérêts des partenaires en présence — institutions prestigieuses, privées la plupart du temps, comme Guggenheim, MOMA, Le Louvre, etc.… — Indistinctement des mécènes — du monde de l’industrie aux échelles mondialisées bien sûr, comme Mercédès, Danone, Bouygues, du bâtiment comme Vinci, Colas ou du monde du luxe comme Cartier, Bulgari, ou LVMH… est systématiquement, méthodiquement, soustraite. La culture rénovée que le néo-libéralisme engendre pour lui-même porte les stigmates de l’idéalisme le plus bourgeois de ce qui s’autoproclame l’élite. Comme n’importe quelle autre activité, elle doit procéder indépendamment de toute genèse qui lui donne naissance, de toute histoire et, par conséquent, renoncer à tout sens ou signification autre que celui ou celle qui lui est réservé. En se plaçant au-dessus des rapports matériels, en assumant d’en médiatiser les conditions, il manifeste de façon évidente combien la nécessité de taire la malhonnêteté des intérêts qui animent le régime auquel la culture est soumise en son entier. Derrière l’apparence du soutien à la culture — mécénat ou parrainage, la différence ne s’établissant que d’après les avantages fiscaux et symboliques calculés-se masque le désintérêt profond pour la culture, laquelle n’a pour motif que l’intéressement que celle-ci est en mesure d’apporter gratuitement, la malhonnêteté des intérêts étant d’autant plus pernicieuse qu’elle reste cachée. Par ces principes, la fausseté s’institue en tant que condition à l’existence, en même temps que celle-ci est radicalement expurgée de toute vérité. Enferrée dans la pratique dominante, la culture est impuissante à s’arracher à l’horizon des rets du Prince de ce monde. Le reflet trompeur sous le charme duquel elle est tenue ne peut être brisé puisque, précisément, c’est elle-même qui est censée l’incarner. N’importe quelle prospective vers un avenir plus ouvert lui devient proportionnellement chimérique. Chez tous les opportunistes et attentistes bien mis, qui en tirent profit, ce renversement perversement inversé est aussi patent que confortable. Chacun y souscrit allégrement. La culture est pour eux la marque distinguée du salut progressiste auquel il faut s’adonner. Et pendant qu’ils délaissent la masse à une culture taillée exprès pour elle selon les préceptes d’un progrès culturel de gauche, ils s’appliquent à leurs spéculations financières en soutenant illusoirement ce qui parait comme leur radicale opposée, et dont ils savent pertinemment l’inefficience sur le plan pratique, mais qui contribue de façon si avantageuse et pécuniaire à faire que les choses se présentent au mieux pour leurs images de marque. Occulter combien la dimension strictement matérielle du néo-libéralisme utilise à ses propres fins ce qui, par nature, l’oppose à la culture, c’est développer avec l’économie politique, dont il est si précieux d’éviter la critique, une sorte d’affinité élective suspecte, à l’image de la connivence qui existe entre la culture et le milieu du point de vue moral, aussi que de la collusion qui règne entre-elles sur le plan social. Ne pas identifier la culture au mensonge qu’elle est devenue, voilà qui est excessivement utile à un moment où elle n’est réduite qu’à cela. Que la réalité matérielle soit unilatéralement celle où domine en maitre incontesté la valeur d’échange, témoigne combien la définition de la culture comme antithèse, qui refuserait un tel hégémon de la valeur d’échange — définition romantique et sentimentaliste n’a effectivement plus aucun sens aujourd’hui. Le coup de maitre a été de radicaliser universellement la négation par double affirmation du négatif : le principe néo-libéral de l’échange libre et équitable est un mensonge ; pour que la culture qui le nie ne se place pas du côté de la vérité, elle a été détrônée en tant que fin et intégrée comme moyen. Dénoncer le mensonge du monde de la marchandise totalement réifié devient à son tour un mensonge sans plus aucune nécessité de correctif. Si c’est le propre d’un système que de pouvoir indistinctement être inversé sans modifier son mode opératoire, alors le fait que la culture a été enrégimentée dans le système néolibéral et ses mécanismes, justifie qu’elle-même devienne pure système. Son déclin contribue à sa déchéance. Non classé
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