Invita Minerva Posted on 21 juin 20247 octobre 2024 By Mike L’empirisme ambiant dans lequel immerge aujourd’hui l’architecture réduit encore la distance entre pensée de l’architecture qui la détermine et caractérise et sa réalité, distance que cette dernière ne tolère d’ailleurs plus non plus. Saisie, comme interdite, par l’impératif catégorique de la morale écologiste, mais aussi et surtout, par l’esprit pragmatisme qui en anime toutes les actions, la pensée vouée à l’architecture, l’activité théorique portant sur l’architecture comme telle, disparait. Ce qui prétentieusement se targue d’en ternir le rang aujourd’hui disent ne vouloir rien moins que restituer la stricte réalité des choses ; à l’instant où, ayant précisément abandonné la puissance de les percer, elle renonce à toute autonomie face à cette réalité. Au motif de vouloir adopter en architecture « l’art de l’enquête » que promeut un Tim Ingold en anthropologie, l’esprit béotien croit pouvoir en inverser indifféremment les termes pour justifier une nouvelle façon de « faire » en architecture sans aucunes conséquences pour l’architecture elle-même. Il y a dans le pragmatisme défendu ici ce grand principe, que ce qui est doit nécessairement être dans l’effectivité de ce qui est-là, dans la factualité des faits. Ce principe est opposé à tout ce qu’il désigne lui-même comme défendant « la forme d’un système de concepts et de catégories préconstitué censé pouvoir ordonner la matière prétendument chaotique de notre expérience sensible » ; est visé tout type de pensée, d’effort d’ordre théorique, au motif selon eux que ces-derniers, se rengorgeant de réflexions discutables, et bien trop rivées à des approches jugées pour le coup dédaigneuses, aristocratiques, dérivant de postures élitistes, se contente de mépriser l’effectivité et la présence réelle de la réalité, prétendument accessible à chacun et à tous. Pour se donner un contenu, la condescendance démagogique d’un tel discours n’hésite pas à amalgamer les principes libertaires de l’individualisme débridé avec ceux d’un certain idéalisme subjectif dont il feint se détacher. Pour les partager de façon parfaitement acritique et inconsciente, le pragmatisme véhicule les présupposés de l’empirisme. L’ensemble des définitions et préceptes qu’il revendique a pour garantie ce qui provient exclusivement de l’expérience, puisqu’il ne s’agit rien moins que de « fonder leurs idées sur l’expérience ». Rien de ce qui relève d’une connaissance n’est autorisé au profit de l’expérimentation. Aucunes déterminations – règles ou principes généraux – n’ont de signification et de validité autre que celles extirpées de la perception, pas plus que de façon justifiée, rien n’est extrapolable en dehors de ce qu’il est possible de vérifier visuellement dans le phénomène. Que les présupposés du pragmatisme reposent sur ceux de l’empirisme lequel, à son tour, se tient essentiellement sur ceux de l’idéalisme subjectif, se démontre nulle part mieux que dans la réduction à l’essentiel de ce qui le fonde, c’est-à-dire dans la certitude immédiate et le sentiment de sa réelle présence que la conscience retire de la perception id est dans sujet lui-même. Le retour à ce qui n’a jamais été que le développement ad absurdum du même principe n’est que le résultat jusqu’à l’absurde d’une réflexion circulaire, car dans l’incapacité d’adopter d’autre approche que celle dichotomique et identitaire de la logique positive dont se repait le système. Quand donc il est question « de donner une place centrale à l’expérimentation » dans l’architecture au nom « de l’art de l’enquête », au motif « qu’il s’agit bien d’étudier auprès du monde, d’en épouser les aspérités, plus que de le décrire en se tenant à distance », apparaissent tous les dangers qui pèsent en sous-main sur l’architecture. C’est justement dans la distance que celle-ci sait pratiquer d’avec le monde que fonctionne sa prise effective sur lui. L’architecture ne saurait faire autrement que de se rapporter à la réalité des faits auxquels il lui appartient de se confronter. Pour cela, il lui revient de manager et préserver un espace critique vis-à-vis de cette réalité lui permettant de se mouvoir librement par rapport à elle. Du fait qui ce qui est-là, le donné, n’est et ne peut jamais être totalement conforme à ce qu’elle peut ou veut en retenir, elle sauvegarde la faculté qui est la sienne d’intégrer et contenir ce qui effectivement est. Il est essentiel pour l’architecture de conserver une marge liminaire lui permettant d’outre – dépasser le monde et sa simple effectivité, laquelle s’avère aussi pauvre et plate qu’elle parait pleine et authentique. Bien moins que de chercher trivialement à reproduire ce qui est, l’architecture se doit de le qualifier, déterminer librement le déterminé en prenant en charge avec rigueur et exigence la détermination. Toute architecture est en cela Mens agitat molem, qu’elle est l’œuvre d’un travail théorique intellectuel avant que d’être simplement application et expérience. Là réside le sens et le fondement de sa pratique. La différence entre architecture et faire, auquel semble vouloir la réduire le système avec tant d’entêtement, d’adresse et d’indifférence cognitive, tient opiniâtrement dans la conscience qu’elle cultive vis-à-vis de la réalité, autant qu’au sérieux et l’engagement que comporte toujours la réflexion théorique qu’elle constitue sur ce qu’elle réfléchit sans s’y attacher. Le pragmatisme porte en lui la répression d’une telle distanciation. Sous les oripeaux d’une approche positive, il la met au compte d’un naturalisme qui vise à délégitimer la raison à l’avantage de processus fonctionnel et opératoire. Toute divergence par rapport aux faits, produits de « l’observation et de l’engagement pratique auprès des êtres et des choses » est jugée duplicité, aussi erronée que fallacieuse, car procédant d’une démarche incapable de ne pas appliquer apostériori « ses manières de penser à la substance matérielle du monde ». Les conditions que commande le travail théorique sont perçues comme inepties néfastes à la compréhension et au soin d’un monde devant lequel cependant, celui-ci étant devenu l’antienne moralisatrice à usage des masses, les fonctions intellectuelles autant que les habitudes sociales, doivent rendre aussi des comptes à tout moment. A l’instant où l’architecture accepte de renoncer à l’imprescriptible distance que commande son travail théorique qui la définit, qu’elle consente à se réduire à ses éléments les plus immédiatement matériels en souffrant n’être plus qu’un acte de construire, aux subtils motifs rhétoriques, mais trompeurs, d’une plus grande réalité, elle s’abîme. La volonté de renvoyer l’architecture à la sphère de la pure immanence d’un soi-disant réel, la condamne à confiner à une platitude inane aussi fausse dans son indigence qu’exaspérant par sa vanité. L’apologétique de ce que l’architecture d’aujourd’hui est réputée dans l’obligation de devenir repose sur la pleine indétermination du système actuellement en mutation ainsi que sur la fausse conscience que celui-ci entretient à ce sujet pour en soutenir le processus de développement. Que le travail critique soit la médiation la plus assurée pour en faire rejaillir la non-vérité que le système teint à maintenir dissimulé, est justement ce qu’il faut empêcher. Le retour au quotidien, cautionné par la bienveillance du bon sens majoritaire – parce que c’est bien utile – risquerait de voir immédiatement remis en cause par la démonstration de la non-identité qu’il est chargé d’occulter pour ne pas seulement risquer d’être reconnu. L’architecture soumise au commandement du faire se voit élogieusement renouer avec ses origines archaïques – toujours apurées bien entendu, comme jadis dans le jargon de l’authenticité heideggérien, tant du point de vue méthodologique que de celui pratique, pour mieux servir la régression exigée par le renouvellement fonctionnel du capital. Il est vrai qu’à l’occasion de son apogée, le néolibéral de connivence a pu se servir de l’architecture comme étant le plus efficace moyen d’expression de sa toute-puissance globalisée. Si, les prouesses interprétatives, laissées aux bons soins de chacun des architectes-stars du moment, reposait à l’inverse sur l’affirmation exagérée, et au final préjudiciable pour l’architecture, de l’indépendance qui lui revient par essence, cette-dernière n’en a pas moins servie à démontrer les deux seules réalités auxquelles elle était restreinte : celle relative à ce pour quoi l’architecture était employée, c’est-à-dire dans le but de remplir la fonction qu’il lui était attribuée de « représenter », et celle, justement, de son hétéronomie, tant elle en demeurait naïvement et maladroitement dans ses essais à vouloir « représenter ». C’est précisément que qui permet aujourd’hui, d’exiger des comptes à l’architecture, permettant de l’humilier et de l’avilir en la dénonçant dans ses conditions et finalités propres. Devant le pragmatisme, rien ne sert de vouloir absolument argumenter rationnellement, pas plus que de le dédaigner serait avantageux. Il suffit seulement de démonter à travers un travail critique porté sur la connaissance que l’architecture constitue d’elle-même, que jamais son concept et ce qui le remplit ne peuvent concorder totalement. L’exaltation pour l’empirie qui trouve au contraire son sens et son fondement en la croyance de leur parfaite superposition se solde par l’ignorance et l’impéritie. Ce que le pragmatisme qui s’abat sur l’architecture ne supporte pas, c’est proprement que le savoir de l’architecture, joint à son inextirpable non-alignement à la réalité, est précisément ce qui fait que l’architecture devient architecture. Le nier, ou le négliger, revient à se contenter d’un jeu de formes vides, puéril qui se gargarise d’une phraséologie obscurantiste au sujet du bien-fondé du quotidien, du simple et de l’authentique. Le pragmatisme démontre malgré lui ses propres limites, lorsqu’en l’absence de tout sens critique, il croit par-là lui ouvrir le chemin pour y parvenir. La propédeutique de l’exploration de la sensibilité placée aux rênes de la raison, qu’il dispose au cœur de ses « enquêtes » et « expérimentations », est pour lui l’opportunité de prouver sa méticulosité et son « ouverture au monde ». Mais, le travail théorique qu’appelle l’architecture dans sa pratique cultive, avec bien plus de sérieux et d’exigeante rigueur, sa différence d’avec la réalité à laquelle elle doit se confronter que n’importe quelles manipulations guidées sous le contrôle d’un soi-disant processus, voulu et établi comme causa sui, mais pourtant hypostasié in se. En écho à l’idéologie dominante auquel il répond, le pragmatisme s’expose en même temps qu’il en constitue matériellement la quintessence sur le plan pratique, cet effort outré dans la direction du toujours moins afin d’appréhender l’inévitable profit qu’il y a à en retirer. La dignité illégitime de l’architecture, cette marque prétendument définitive qui lui est reprochée en raison de son essence conceptuelle inacceptable aujourd’hui, est la conséquence des abîmes de l’aléatoire vendues comme la manifestation de l’émancipation de la subjectivité. La facticité empirique sur laquelle repose le pragmatisme est le faux-semblant d’un relativisme rampant ; l’architecture qui n’a nulle nécessité d’être démontrée dévoile la tautologie que masque la démonstration que veut en faire le pragmatisme. Le relativisme, qui consécutivement à l’individualisme exacerbé que nécessite le système, n’en finit pas de lui opposer automatiquement toutes les réserves et restrictions, issues du strictement contingent et hissées en grande pompe au rang de seul concret. Sa finalité reste de circonscrire toute possibilité critique en les contenant dans un champ intellectuel restreint à chacun, conséquemment limité aux moyens de la personne, pour interdire à l’architecture de ne jamais plus pouvoir faire l’expérience de ses limites. Par cynisme, le système anticipe les déconvenues par avance et, à défaut de les interdire, subverti et détruit tout ce qui pourrait lui être inconvenant. En cherchant à asservir l’architecture de la même manière qu’il s’assure de ses intérêts – comme, du reste, toutes les autres activités de l’homme -, il ne peut la perdre qu’avec d’autant plus de succès. En se posant comme un acte de pensée, de différenciation par rapport au donné immédiat, l’architecture extirpe l’homme du contingent et du relatif : En assimilant le non-vrai, elle le conduit au seuil de ce qui en conditionne la connaissance. Non classé
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