Ordre de priorité Posted on 21 juin 2024 By Mike Parmi l’une des conséquences les plus délétères résultant de la réduction de l’architecture à une simple pratique par le système, il y a l’enjeux de la soumettre entièrement aux règles de la planification économique. Que d’une certaine façon l’activité professionnelle se soit rapidement accommodée de cette impérieuse contrainte, parait autant une preuve d’adaptation, qu’un gage de résilience pour ce qui semble arriver. De discipline, l’architecture est passée à des « manières de faire », de métier à profession elle est aujourd’hui – plus que jamais- la réinvention de son propre exercice. Maintenant qu’il est plus qu’impossible de ne jamais pouvoir distinguer ses fondements de cet ensemble confus, la dimension culturelle qui a toujours constitué le contenu de l’architecture, est laissée à l’appréciation opportuniste de ceux qui, au nom de l’intérêt de la société en prennent la voix pour mieux en contrôler les intéressements. Quand il peut encore parfois être question de culture, c’est pour en administrer la part du travail intellectuel suivant des critères décidant de la nécessité, ou du bien-fondé, de l’activité qui lui est réservé de devenir au bénéfice de ce qu’en attend le système. L’Écologie est chose sérieuse. Mais, pour se porter au secours de sa noble et grande cause, l’écologisme finit par s’y substituer dans les consciences. A travers sa rhétorique, il la définit en fonction de l’actualité ou l’importance particulière qui se doivent de capter les préférences du moment. Ce qui est jugé inconvenant, sinon intolérable, est renvoyé au second plan comme quelque chose d’inessentiel. C’est ce qui arrive à l’architecture lorsqu’elle se voit privée de toute réflexion ou de tout questionnement théorique qui déterminent son identité. De l’enjolivement de « l’esprit du temps », ce raffinement dispendieux mais intitule qui lui avait été affublé il y a un temps pas si éloigné, et dont il s’agit de se défaire au nom du bien de tous et de chacun répondant de « l’intérêt public », l’architecture se doit désormais de n’être plus que « production architecturale ». Pour retrouver les soi-disant « lettres de noblesse » qui sont les siennes, l’architecture doit aux yeux de tous devenir un « catalyseur de réponses concrètes aux inquiétudes légitimes ». Devant tant d’édifiantes admonestations préoccupées du vivre-ensemble de la collectivité, il revient soudain pour mission aux architectes de se mettre au service de la communauté, comme si cela n’était pas déjà l’unique primat avec lequel le système pouvait la maintenir inféodée à son service. Parfaite pétition de principe, la circularité de l’argument répond à la tautologie du vide qu’il abrite, si ce n’était les formes qu’il veut bien y mettre. De même que, dans les plans d’économie qu’échafaudent les discours en vogue, les uns visant à restreindre, les autres à renoncer, tous « à faire mieux avec moins », sont décrétés telles ou telles priorités pour la distribution de matières premières, pour la fabrication de tel ou tel type de denrée destinée pour tel ou tel type de consommation méritoire, de même pour la profession, se dresse toute une hiérarchie des importances à respecter prioritairement ou non, qui permettront sans faille de distinguer combien « la création architecturale et de la qualité des constructions doivent demeurer le fil d’Ariane de notre action quotidienne au service de nos concitoyens ». A l’heure où, parmi tant d’alarmes, la place essentielle de l’architecture dans la société semble devoir être une fois encore mise en lumière, la voilà soumise pour y parvenir aux principes auxquels répond n’importe quel projet donné ou business plan. Il s’agira d’en établir pour elle, les priorités au milieu des urgences, en identifiant quelles sont ses forces, ses faiblesses, ses opportunités et les menaces qui pèsent sur elle. Mais tandis que la notion d’urgence se redessine sans cesse pour elle-même au creux de telles harangues publicitaires, l’architecture se voit de plus ne plus systématiquement aplanie en fonction d’outils de stratégie d’entreprise ; là où l’urgence se détermine sous l’influence de considérations d’ordre purement organisationnel, lesquelles répondent strictement à l’actualité de tel ou tel problème conjoncturel qu’il suffit de choisir pour façonner l’occasion, se joue l’utilité et e maintien de l’architecture. Le degré d’importance qu’il convient alors de délivrer à cette « urgence » pour la reconnaitre comme telle, véhicule dans sa forme les valeurs du capital en vigueur qu’il s’agit de respecter et surtout de reconduire, même et surtout quand il s’agit de faire semblant de s’y opposer par le contenu, comme le fait la contestation réformiste actuelle. Il y a donc quelque chose de résolument obscur et insidieux dans le fait que les architectes revendiquent « des moyens à la hauteur des enjeux » ; plus particulièrement encore lorsqu’il s’agit d’y inclure « les conditions d’enseignements dans les écoles d’architectures ». Ce qu’impose d’emblée le programme de l’écologisme comme progressif, gage un culte des « enjeux ». Mais en discriminant implicitement de ce qui importe par rapport à ce qui n’importe pas, il dissimule la privation de liberté qu’il colporte sans le dire, ou sans même vraiment peut-être en prendre conscience. Admettre pour seul objectif de l’architecture pour l’architecture, sa capacité à répondre aux « enjeux », revient à la mettre au pas en lui retirant tout objet autre que des préoccupations matérielles ou prosaïques y afférant. Comme si les écoles d’architecture n’étaient pas déjà le lieu où il n’était plus question d’architecture – ou si peu-. Au lieu de se limiter à reprendre en chœur l’antienne écologiste, en tant qu’elles sont réputées être des lieux de réflexion et de recherche, les écoles devraient au moins essayer de circonscrire les critères, sinon la nature, des « enjeux » et de « l’urgence » à laquelle ils disent devoir répondre, à l’instant même où elles sont sommées de les adopter et les retranscrire formellement. Le partage du monde en choses viables, en raison de leur utilité pour le système, ou accessoires, en fonction de leur futilité, demeure le schéma classique servant de prétexte compensatoire à désamorcer tout type de contestation, et tenir les consciences dans le sommeil qui leur est réservé. L’exception devenant règle générale, en toute logique bien admise, ce qui est présenté comme particularité singulière à cette dernière se voit automatiquement déprécié en tant qu’anomalie. La fausseté, devenue étalon du réel, n’est même plus visible, ni par contraste, ni par évidence ; elle est tout simplement choséifiée pour elle-même en tant qu’unique réalité. La réduction à laquelle semblent donc vouloir inconsidérément s’adonner les architectes, et avec eux les écoles d’architecture aujourd’hui, n’étant que ce à quoi le système leur impose de se conformer, résulterait au final à ce qu’elles n’en intègrent simultanément toute la perversité et le cynisme. Les écoles d’architecture se leurrent en se figurant que la dignité de leur pédagogie – ainsi que la réputation à laquelle elles pourraient prétendre ce faisant- dépend de la dignité des objets dont elles disent se préoccuper. Aujourd’hui, n’importe quelle construction s’inspirant de principes ou techniques vernaculaires a pour elles plus de valeur que n’importe quelle œuvre d’architecture. Il serait même rétrograde que de chercher à expliquer ce « qu’architecture » pourrait encore vouloir signifier. La différence entre les moyens conceptuels et les moyens pratiques n’ont plus la moindre signification ; c’est même le contraire qui prévaut. Tout ce à quoi, par abstraction du discours, il est inoculé l’illusion de l’importance des « enjeux » sert à évacuer toute trace d’architecture en éliminant l’architecture elle-même. La suppression de toute activité théorique qui en constitue l’essence est là pour témoigner de l’efficacité atteinte par la totale absence de distance par rapport l’activité pratique et à son objet lequel, doit même s’y résumer totalement. Le travail théorique qui constitue l’authentique morale de l’architecture n’est plus tolérée. Dans ce moment le plus récent, la véritable urgence pour le système tient à l’effacement de la classe moyenne. La société de consommation doit laisser place à la société de la rareté ou de pénurie ainsi qu’une économie de guerre, qui peut même être évoquée pour forger les esprits, contribue à y conduire. Qu’une telle interdiction silencieuse conduise pour l’architecture non seulement à en abolir la pensée mais aussi l’objet, contribue aussi à effacer l’architecte en tant qu’individu à l’avantage d’un vulgaire sujet au travail. Quand il ne fait pas le choix – dès lors que ses moyens le lui permettent- de devenir bon gestionnaire d’une affaire en s’accoquinant au discours dominant, il redevient simple artisan, ou employé, et retrouve sa classe sociale initiale. Avec toute la mauvaise bonne conscience qui lui sert à se convaincre et se contraindre justement à l’accepter sans perspective de rémission, il a tout de même de quoi rendre son parcours non moins « heureux »…. Inviter les écoles d’architecture à se consacrer essentiellement à ces seules préoccupations écologistes, à ces « urgences », c’est les condamner par inertie et immobilisme à l’inanité. Les grands thèmes auxquels elles semblent vouloir exclusivement se consacrer annulent et remplacent ceux qui ont préoccupé – et doivent exclusivement occuper- l’architecture. Même lorsqu’il s’agit de « thématiques » au sens traditionnel, plus proches, sinon essentielles à l’architecture, comme celles de la strucure, l’écologisme les décentre où les distord pour l’y substituer à celles de la seule construction. Le matérialisme foncier qui en constitue la plus profonde dynamique partage avec l’esprit de l’économie le diktat de la quantité. C’est là l’héritage lointain que conserve une certaine architecture bourgeoise du XIXe siècle de son alliance d’antan aux sciences de l’ingénierie et, qui se voit prôné aujourd’hui avec fierté. Louis Nicolas Durand en porte la responsabilité malgré lui, autant que tous les Lacaton-vassal qui confient leurs démarches aux méthodes pragmatistes, sans grande attention à ce qu’ils font. La suffisance devenant la marque de l’efficacité, il est pratique de faire des valeurs une nécessité. Le « Less is more » doit à son tour troquer sa dimension éthique, sinon même esthétique quand elle ne peut pas être seulement architecturale, pour celle de la gestion administrative. Bien moins que de se limiter à simplement reproduire et colporter un discours pressant établi sur un modèle d’usure qui transforme toute chose en simple objet, les écoles d’architecture devraient s’interroger de façon critique sur la manière de pas devenir elle-même les objets et instruments de « transitions » qui ne disent pas le nom de la nouvelle métamorphose que le système est en train d’accomplir dans le dos de la société, le tout au nom de cette dernière. L’architecture est activité de la pensée. Elle ne peut se laisser incorporer dans un calendrier dont les tâches lui serait attribuée de façon arbitraire et hétéronome. L’architecture ne peut pas être, et ne doit pas devenir, un emploi particulier pour lequel les ingénieurs de la pédagogie en tout genre œuvrent depuis dans les écoles pour dispenser les méthodes de management en vue de développer les compétences spécifiques soi-disant nécessaires. Il n’y a aucun déterminisme pour elle à subir l’indigence qui se cache derrière n’importe quel type « d’urgence » lequel, sera toujours établi au gré de la demande ou des besoins du système, l’écologisme n’en étant que la forme d’apologie utile du moment. L’architecture ne peut s’atteler aux urgences que celui-ci édicte que si elle résiste à la force d’attraction et refuse d’en intégrer la dynamique. Elle doit protéger la condition même de son existence lequel, est objectivement son objet, cela même qui occupe continuellement le travail théorique. Lui interdire tout autre objet, c’est aussi à la priver d’elle-même. L’objectivité qui sacrifie le travail théorique visant à édifier de l’architecture renonce, en même temps qu’à la pensée, à l’objectivité et à l’architecture. (notes extraites de « Architecture d’intérêt public : ensemble, des paroles aux actes » : de Mr Fabien Gantois, Président du Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Île-de-France du 30 Mars 2023.) Non classé
Behemoth Posted on 17 mars 2024 Behemoth Que cela regarde l’économie, le social, le politique, la morale ou bien encore finalement l’art lui-même, depuis Marx, chacun sait combien les processus de développement de la société humaine sont intrinsèquement liés aux champs de représentation que celle-ci veut bien se donner. Il n’est pas nécessaire d’y revenir. À… Read More
Pavillon de l’Arsenal Posted on 1 novembre 2024 C’est hypocritement que le système culturel prétend se mettre à l’écoute de l’architecture de son époque et la soutenir en l’encourageant par tous les moyens. Tandis qu’il s’empresse de réprouver toute idée concernant son autonomie et érige ses victimes en juges, l’autoritarisme, qu’il tient bien caché, dépasse tous les excès… Read More
Triangles d’or Posted on 25 avril 202425 avril 2024 La sollicitude du grand Capital à entretenir l’architecture dans le mythe qu’il lui réserve tout exprès pour ses propres fins, adopte volontiers le visage du désintéressement. Depuis que Kant a conceptualisé cette notion comme celle soutenant l’accès à l’esthétique, l’accointance du grand capital se voit légitimé à s’acoquiner avec celui… Read More